Jennifer Renoux, docteure en intelligence artificielle, avec le Collectif NoFakeScience 15 Juillet 2019 à 12h48

« L’état de nos connaissances ne saurait être un supermarché dans lequel on pourrait ne choisir que ce qui nous convient et laisser en rayon ce qui contredit nos opinions »

Jennifer Renoux est docteure en intelligence artificielle. Elle copréside le collectif NoFakeScience, qui a rédigé cet appel.

Jennifer Renoux est docteure en intelligence artificielle. Elle copréside le collectif NoFakeScience, qui a rédigé cet appel. © DR S’abonner

Le collectif NoFakeScience, qui regroupe une vingtaine de scientifiques et de spécialistes de la vulgarisation, s’alarme du traitement réservé à l’information scientifique dans les médias, souvent dévoyé. Il appelle à un sursaut et souligne l’existence de consensus scientifiques parfaitement établis sur certains sujets. Il est soutenu en cela par près de 230 autres grands noms de la recherche mondiale, qui ont signé cet appel. Ce texte est publié en France en exclusivité par l’Opinion. Il est simultanément publié au Canada par Le Soleil, en Suisse par Heidi.news et en Belgique par La Libre.

Nous, scientifiques, journalistes et citoyens préoccupés, lançons un cri d’alerte sur le traitement de l’information scientifique dans les médias, ainsi que sur la place qui lui est réservée dans les débats de société. À l’heure où la défiance envers les médias et les institutions atteint des sommets, nous appelons à une profonde remise en question de toute la chaîne de l’information, afin que les sujets à caractère scientifique puissent être restitués à tous et à toutes sans déformation sensationnaliste ni idéologique et que la confiance puisse être restaurée sur le long terme entre scientifiques, médias et citoyens.

Dans une démocratie, les journalistes portent une lourde responsabilité puisque, de la liberté dont ils disposent ainsi que de la qualité de l’information livrée, dépend la qualité du débat public et des choix qui en découlent. La méthode scientifique, de son côté, permet de produire des connaissances fiables pouvant servir de base de réflexion pour les politiques publiques portant sur des questions complexes telles que l’alimentation, la santé publique ou l’écologie (1).

Il apparaît alors évident que la communauté scientifique et les journalistes doivent travailler main dans la main, la première ne devant pas s’isoler médiatiquement par crainte de voir ses travaux déformés, les seconds ne pouvant se permettre de travestir ni le travail de la première, ni les faits. C’est sur ce dernier point que nous alertons les acteurs et actrices des médias. Nous assistons aujourd’hui à un dévoiement grandissant du travail des scientifiques. Leurs résultats ne sont bien souvent mis en avant que s’ils confortent des opinions préexistantes. Dans le cas contraire, certains iront sous-entendre leur rémunération par un lobby malveillant.

Soyons clairs : l’état de nos connaissances ne saurait être un supermarché dans lequel on pourrait ne choisir que ce qui nous convient et laisser en rayon ce qui contredit nos opinions. Il existe en effet des consensus scientifiques sur des sujets aussi divers que :

La santé

– La balance bénéfice/risque des principaux vaccins est sans appel en faveur de la vaccination (2,3).

– Il n’existe aucune preuve de l’efficacité propre des produits homéopathiques (4)

L’agriculture

– Aux expositions professionnelles et alimentaires courantes, les différentes instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate considèrent comme improbable qu’il présente un risque cancérigène pour l’homme (5,6,7).

– Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié (OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé (8).

Le changement climatique

– Le changement climatique est réel et d’origine principalement humaine (9).

– L’énergie nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut contribuer à la lutte contre le changement climatique (10).

Ces points ne sont pas de simples opinions. Ce sont les conclusions issues de la littérature scientifique et soutenues par des institutions scientifiques fiables, comme l’OMS, l’Académie européenne des sciences, l’Académie nationale de médecine, l’Académie d’agriculture ou encore le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec).

« Nous comprenons que des “marchands de doute”, y compris certains scientifiques, aient tenté et tentent encore de détourner le public du consensus. Cependant, les journalistes se trompent de cible s’ils croient que la communauté scientifique est leur ennemie »

Bien entendu, la science n’a pas réponse à tout. Il existe des questions qui n’ont pas conduit à un consensus clair, voire qui restent sans réponse. Il est alors tout à fait légitime pour un média de présenter et d’expliquer le débat qui a lieu. Mais si un consensus existe, le journaliste doit être capable de l’identifier, de chercher à le comprendre et à en rendre compte. Il n’est pas souhaitable de donner autant de poids à un fait scientifique dûment établi qu’à sa négation. Il serait par exemple impensable qu’après quinze minutes d’un sujet sur la station spatiale internationale, l’on donne quinze minutes d’antenne aux adeptes de la Terre plate.

Nous comprenons que des « marchands de doute », y compris certains scientifiques, aient tenté et tentent encore de détourner le public du consensus. Cependant, les journalistes se trompent de cible s’ils croient que la communauté scientifique est leur ennemie. Cette dernière risquerait de s’éloigner plus encore des journalistes.

Enfin, nous soulignons la différence entre les échelles de temps scientifique et médiatique. La surinterprétation de résultats préliminaires et de petites avancées, sitôt contredits ou nuancés, brouille le message adressé au public. S’il est légitime de chercher à informer dans les délais les plus brefs, cette réactivité peut s’avérer contre-productive, en particulier sans les clés de compréhension de l’actualité scientifique.

Il est urgent que la place de l’information scientifique dans nos médias et dans le débat public soit revue, pour éviter de creuser le fossé entre scientifiques et journalistes. Réfléchissons ensemble à la façon de rendre à la science la place qu’elle mérite. Pour un débat public apaisé et rationnel, pour le bien de notre vie politique, pour nos concitoyens.

« La science n’a pas de patrie », nous dit Louis Pasteur. Nous ajoutons qu’elle ne saurait avoir de parti-pris idéologique.

[1] Assemblée Nationale. Résolution sur les sciences et le progrès dans la République. Session ordinaire de l’Assemblée
Nationale du 21 février 2017.
[2] Académie nationale de Médecine, Académie des Sciences. Les difficultés de l’information du public sur les vaccinations. Académie nationale de médecine –
Académie des Sciences. Novembre 2011.
[3] OMS. 10 menaces pour la santé mondiale en 2019. OMS. Consulté le 20 février 2019.
[4] EASAC. L’homéopathie : nuisible ou utile ? Les scientifiques européens recommandent une approche fondée sur la preuve scientifique. Académie des Sciences. Communiqué de presse du vendredi 29 septembre 2017.
[5] EFSA Journal. Conclusion on the peer review of the pesticide risk assessment of the active substance glyphosate. Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA). EFSA Journal, 12 novembre 2015.
[6] FAO. FAO specifications and evaluations for agricultural pesticides – Glyphosate. Consulté le 20 février 2019.
[7] ANSES.Avis de l’Anses sur le caractère cancérogène pour l’homme du glyphosate. 12 février 2016.
[8] OMS. Sécurité sanitaire des aliments – questions fréquentes sur les aliments génétiquement modifiés. OMS. Mai 2014.
[9] GIEC. Climate Change 2013: The Physical Science Basis. Contribution du 1er groupe de travail au 5e rapport du GIEC, 2013.
[10] GIEC. Réchauffement climatique de 1,5°C – Rapport spécial du GIEC. Chapitre 2 : voies d’atténuation compatibles avec 1,5°C dans le contexte du développement durable. GIEC. Consulté le 20 février 2019.