Dans l’Orne, un entraîneur a constaté le mal-être de ses trotteurs dès lors que des éoliennes installées près de son haras sont entrées en service en 2019. L’eau des abreuvoirs était chargée d’électricité. Une expertise a mis en cause son bâtiment, mais cette étrange coïncidence l’interroge.
Publié le 14/11/2020 à 17h41 • Mis à jour le 15/11/2020 à 09h58
Orne Il peut sans difficulté remonter à la source de ses ennuis et retrouver la date sur le calendrier. Jusqu’au 15 mars 2019, tout allait bien. Sur les champs de courses, ses chevaux obtenaient des résultats. Puis, du jour au lendemain, quelque chose s’est mis à ne plus tourner rond. « Ils ont commencé à faire des contre-performances. Ils étaient irritables », se souvient Pierre-Yves Lemoine. Ce jeune entraîneur de trotteurs a donc fait appel aux vétérinaires qui n’ont d’abord rien trouvé d’anomal. Pas d’infection, pas de problèmes respiratoires. Il s’est entendu dire : « c’est juste un mauvais passage. »
Au fil des jours, alors que les résultats allaient de mal en pis, Pierre-Yves Lemoine s’est aperçu que les chevaux « inondaient leur box quand ils buvaient ». Le compteur a alors révélé qu’ils n’avalaient plus que dix litres d’eau par jour quand un trotteur en boit normalement trente à quarante litres. « Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est quand j’ai appris que les éoliennes avaient été reliées au réseau le 15 mars 2019. »
« Les chevaux prenaient une chataîgne à chaque fois qu’ils mettaient le museau dans l’eau »
Il a donc fait appel au Groupement Permanent pour la Sécurité Électrique (GPSE). Le temps de constituer un dossier, dix mois s’écoulent. Les résultats sur les hippodromes sont toujours aussi mauvais. Des clients retirent leur chevaux. Les rentrées d’argent ne sont pas loin d’être réduites à néant. En janvier 2020, un expert se rend sur place. Il constate que l’eau des abreuvoirs est chargée d’électricité. « 200, 300 millivolts, jusqu’à 800 millivolts parfois. Nous on peut toucher l’eau sans s’apercevoir de rien. Mais un cheval est plus sensible. Il prend une châtaigne à chaque fois qu’il met le museau dans l’eau ».
Les conclusions de l’expertise l’étonnent toutefois. Ce courant proviendrait d’un défaut de son installation. « Un fil électrique longe un tuyau d’eau en plastique, ce qui entraînerait une induction ». Le rapport dédouane donc Enedis, en charge du réseau, et Voltalia qui exploite les éoliennes. Pierre-Yves Lemoine a quand même du mal à l’avaler : « je ne suis pas électricien, mais je n’avais aucun soucis avant la mise en service des éoliennes. Je n’ai pas fait de travaux électriques, et du jour au lendemain, mon bâtiment pose problème. Je veux bien, mais j’ai aussi fait des mesures dans ma maison d’habitation. Il y a aussi de l’électricité dans l’eau alors que ce c’est une installation à part ».
Des expertises « pour trouver à tout prix une autre explication que celle qui est évidente »
Pierre-Yves Lemoine a donc fait appel à un avocat qui s’intéresse à ces étranges divagations électriques. « J’ai recensé une vingtaine d’éleveurs de volailles, de vaches laitières qui connaissent ces difficultés, raconte Me François Lafargue. Il y a des similitudes. À chaque fois, l’exploitation allait bien jusqu’au moment de la mise en service d’un ouvrage électrique à proximité ».
L’avocat met en doute la sincérité des expertises menées par le GPSE, « un outil financé par les industriels pour trouver à tout prix une autre explication que celle qui est évidente ». Sur son site internet, l’association admet dépendre « des industriels du secteur de l’énergie et de la profession agricole pour son fonctionnement, puisque ceux-ci constituent son Conseil d’administration », mais elle se défend de toute partialité : « il est faux de dire que cela entache la neutralité des expertises. Le GPSE fait appel à des experts de diverses disciplines (électriciens, vétérinaires, zootechniciens…) qui sont indépendants et chargés d’émettre un jugement impartial dans leur travail. C’est au GPSE qu’ils doivent rendre des comptes et non pas aux entreprises qui couvrent les frais de leur intervention. »
À Échauffour, Pierre-Yves Lemoine a effectué des travaux afin de détourner l’électricité via un système de prises de terre. Mais il compte bien demander réparation. « Aujourd’hui, les chevaux vont bien. Les performances reviennent gentiment depuis cet été. Mais aujourd’hui, c’est compliqué. Je n’ai pas gagné de courses depuisun an et demi. J’ai moins de chevaux, moins de clients. Je n’ai plus de trésorerie. J’ai l’impression de repartir à zéro. Je pense qu’il faut trouver un responsable ».
Pierre-Marie Puaud (avec Damien Migniau)
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