Mis en ligne le 8/08/2019 à 21:21
Gilles Grandpierre Dans cet article
En Thiérache axonaise, des riverains s’inquiètent de la prolifération à marche forcée des parcs éoliens.
Christelle Doyet et Jean-Marc Lamotte, agriculteurs à Fontaine-lès-Vervins : « On mettra peut-être dix ou quinze ans avant de prendre la mesure des dégâts que font ces éoliennes mais il sera trop tard. » – Gilles Grandpierre
La route droite comme un « I » qui file entre Clermont-les-Fermes et Montigny-le-Franc jouit d’un privilège de moins en moins rare dans l’Aisne. D’un seul coup, le regard embrasse près d’une centaine d’éoliennes, des plus proches aux plus éloignées. Là où Google Street visualisait hier des étendues plates comme la main, les mâts blancs de la transition énergétique ont poussé comme des champignons. Beaucoup trop au goût des associations et collectifs de riverains qui, de l’ouest du département à la Thiérache, tentent de mobiliser les résistances. « Pas facile », constate Élisabeth Gautier, porte-parole de Stop Éolien 02. À Sainte-Preuve, la jolie maison de cette agricultrice retraitée a échappé de peu, en 2017, au point de vue imprenable sur un parc d’éoliennes géantes plantées à flanc de coteaux. « Avec un restaurateur local, on a fait comprendre à l’opérateur (l’Allemand WPD) qu’on avait les moyens de mener une bataille longue et coûteuse. Ils ont fini par renoncer », assure-t-elle.
“ Comment promouvoir le tourisme vert et en même temps développer l’éolien ?”
En revanche, le secteur n’a pas échappé la même année aux 23 mâts de la « Champagne picarde » installés non loin de là par Énergies nouvelles, filiale d’Enedis. « Lors de l’enquête publique, 600 personnes et plusieurs communes s’étaient pourtant prononcées contre mais les enjeux financiers sont trop importants. Les enquêtes publiques soulèvent parfois beaucoup d’espoir mais en réalité, elles ne servent à rien ». Vaines démarches aussi, les dizaines de plaintes déposées par le collectif pour « prises illégales d’intérêt » à l’encontre d’élus locaux soupçonnés de confondre intérêt collectif et personnel, les propriétaires des terrains d’implantation étant gratifiés annuellement de 3 000 euros par mégawatt (selon les modèles, une éolienne produit de 1 à 3 MW). « J’avais même envoyé tous les dossiers au parquet national financier. Je n’ai jamais eu de réponse. »
À Fontaine-lès-Vervins et Laigny, les membres du collectif « SOS Thiérache » n’ont pas eu plus de chance. Vingt-deux des 24 communes du secteur s’étaient pourtant opposées, début 2017, au projet d’implantation de sept éoliennes dans les parages des deux communes et d’Étréaupont. Mieux, consultés par référendum en mars suivant, 83 % des habitants de Fontaine avaient voté contre et le commissaire enquêteur s’était fendu d’un avis « très défavorable » en vertu de l’impact du projet sur le paysage et de la présence à Fontaine d’une église fortifiée, dont le clocher est inscrit aux monuments historiques. Rien de tout cela n’y a fait.
À la surprise générale, le préfet de l’Aisne vient finalement d’autoriser, le 4 juin, l’édification de 5 des 7 éoliennes envisagées, non sans avoir différé sa décision à quatre reprises. « Je n’ai rien contre l’éolien mais son développement devient trop anarchique. Il défigure le paysage et contredit la volonté des élus locaux de promouvoir le tourisme vert », regrette Jean-Marc Lamotte, le responsable du collectif, alors que l’AOP Maroilles s’inquiéterait aussi de l’impact de l’invasion éolienne sur l’image du bocage thiérachien. Le collectif ne compte pas en rester là. Il a décidé de déposer un recours auprès de la cour d’appel d’Amiens. « On sait qu’on est parti pour un long combat », prévoit M. Lamotte.
À Saint-Gobert, à 10 kilomètres de là, Guy Froissard et son collectif « Thiérache à contre vent » bataille, lui, depuis douze ans pour faire capoter un projet de sept éoliennes sur Saint-Gobert, Voharies, Lugny et Hary. Un temps refusé, il avait finalement été autorisé en 2009 par le préfet de Région. Depuis, trois procès sont en cours contre les permis de construire et les droits d’exploiter délivrés à l’opérateur Nordex. L’affaire en est là mais en attendant son issue, d’autres demandes de création de parcs ont été déposées dans le secteur. « C’est tous les jours. On prépare un massacre environnemental », se désole le sexagénaire qui avait trouvé à Saint-Gobert un havre de paix pour sa retraite. « Si ça continue, on sera encerclé ». Le bocage thiérachien vaut-il moins que les vallonnements du Sedanais, où a été retoqué, en début d’année, le projet de parc des Monts-Jumeaux ? Raison invoquée : l’impact sur le paysage. Hauts-de-France et Grand Est, toujours devant
Les Hauts-de-France et le Grand Est sont (et de loin) les deux premières régions éoliennes de France. Elles le doivent en grande partie à la Champagne-Ardenne et à la Picardie qui se partageaient déjà, avant la réforme territoriale, les deux premières places nationales. Actuellement, 960 mâts sont en fonctionnement dans la Somme, 540 dans l’Aisne, 504 dans le Pas-de-Calais, 271 dans l’Oise et 131 dans le Nord. Ce total ne tient pas compte des éoliennes autorisées mais non construites (800) et des 733 projets en cours d’instruction. Les quelque 1 500 éoliennes en fonctionnement dans cette région produisent 3 600 mégawatts (MW). Le rythme des installations n’est pas près de ralentir puisque la production autorisée approche les 6 000 MW, soit une augmentation de 50 % de la production actuelle.
Dans le Grand Est, la Marne, l’Aube et la Meuse ont l’honneur de décrocher les trois premières places en puissance installée (respectivement 844 MW, 797 et 470). Cette région produit actuellement 3 373 MW, soit 22 % de la production nationale (23 % pour les Hauts-de-France). Dans le Grand Est, les éoliennes se concentrent surtout entre Châlons et Troyes et dans le sud-ouest des Ardennes. Il y en a peu, en revanche, dans les Vosges, en Meurthe-et-Moselle et dans les deux départements alsaciens. Les vaches ne sont pas dans le vent
Troubles du sommeil, acouphènes, nausées, fatigue inexpliquée… Les éoliennes sont-elles néfastes pour la santé humaine ? Les opposants le croient qui invoquent une étude de l’Académie de médecine qui reconnaissait, en 2017, « un risque de traumatisme sonore chronique » en fonction de la distance entre les éoliennes et les habitations. En l’absence d’études probantes, l’Académie avait tout de même inspiré la décision des députés de porter de 500 à 1 500 mètres la distance entre éoliennes et habitations.
De même, le tournoiement des pales finirait-il par taper sur le système des vaches au point de les tuer ? Depuis la mort énigmatique, en 2017, d’un troupeau de 250 vaches en Loire-Atlantique, la question trouble le monde agricole. Experts, vétérinaires, géobiologues s’étaient penchés sur le mystère, pour l’instant sans l’élucider. Des éleveurs estiment que l’origine de ces décès résiderait dans la liaison entre les éoliennes, via le circuit électrique, qui créerait un champ magnétique indésirable. « Il y a deux ans, un éleveur de la Somme était venu témoigner de la mort de tout son troupeau dans ces conditions », rappelle Jean-Marc Lamotte. « Ce témoignage, tous ceux qui l’ont entendu s’en souviennent. Personne n’a envie de vivre ça. » Isabelle Ittelet, conseillère régionale des Hauts-de-France : « Il faut entendre les protestations ! »
Mme Ittelet est conseillère régionale des Hauts-de-France et vice-présidente du conseil départemental de l’Aisne (canton de Marle).
Comment jugez-vous le développement de l’éolien dans les Hauts-de-France et l’Aisne en particulier ?
Il a atteint ses limites en termes d’occupation de l’espace et de saturation des paysages. Les Hauts-de-France ont déjà dépassé leurs objectifs de développement fixé en 2012 par le schéma régional Air Énergie. Beaucoup de voix s’élèvent contre ce développement et il faut les entendre. Près de 70 % des nouveaux projets éoliens sont contestés devant les tribunaux.
Pourtant, l’éolien serait bon pour l’emploi. Vous le contestez ?
Aujourd’hui, les Hauts-de-France sont la première région en matière de production éolienne mais la 7e en termes d’emplois. En clair, nous avons les nuisances mais pas les emplois qui devraient aller avec. Je précise qu’un rapport sur « Les enjeux énergétiques et l’emploi en Hauts-de-France », coproduit par l’Ademe en 2018, indique que l’éolien est l’énergie renouvelable la moins pourvoyeuse d’emplois. Les projections prévoient 2 000 emplois dans l’éolien régional en 2050, mais 5 000 dans le solaire et 15 000 dans la méthanisation.
Que peut faire la Région pour freiner ce développement ?
Le président Xavier Bertrand a été clair. Il faut développer d’autres énergies renouvelables. En outre, chaque fois que la Région est saisie dans le cadre d’une enquête publique, elle rend un avis défavorable. Mais la décision finale appartient au préfet. La Région ne peut porter de recours, la jurisprudence considérant qu’elle n’a pas intérêt à agir, sauf si ses intérêts directs en tant que collectivité – et pas au nom des habitants – sont lésés.
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