En dix ans, la ferme laitière de Yann Joly, éleveur laitier, est touché par un mystérieux fléau qui tue ses bêtes, l’agriculteur met en cause les éoliennes du bout de sa ferme.
Par Johann Rauch Publié le 6 Mar 21 à 9:00
« Je ne suis pas du genre théorie du complot, ou encore un anti-éolien acharné » prévient d’emblée Yann Joly, « la preuve, j’ai même loué un de mes champs à la ferme éolienne pour qu’elle se développe il y a dix ans ».
Fils d’une famille d’agriculteurs du Boisle, entre Hesdin et Abbeville, dont il reprend l’exploitation l’EARL « Au gré des roses » en 1995, Yann Joly combat aujourd’hui celui à qui il a pourtant signé en 2008 un bail emphytéotique d’exploitation pour 2 196 euros par an.
« On avait développé la ferme pour en faire une production laitière moderne » note l’exploitant, « d’ailleurs, jusqu’en 2011 on n’avait pas de souci. Au contraire, ça tournait très bien, on était à 120 vaches laitières, j’avais embauché un ouvrier spécialisé dans la production laitière et on avait atteint 9 500 litres de lait par vache et par an ». Les affaires étaient bonnes, mais le vent allait tourner…
Mes bêtes à l’équarrissage par godetsYann JolyAgriculteur de Le Boisle
« Dès la mise en route des douze éoliennes supplémentaires, dont une en location sur mes terres les choses ont commencé à se compliquer » se remémore Yann, « il a fallu du temps avant de faire le rapprochement avec les éoliennes. On a fait des études sanitaires, vétérinaires, alimentaires… Tout y est passé, et on voyait les vaches dépérir et mourir à tour de bras ».
Dix ans après le début de son calvaire, le regard de Yann s’embrume toujours à l’évocation des années 2013 et 2014, « c’était une horreur de voir nos bêtes partir comme ça à l’équarrissage sans pouvoir rien y faire », « des godets entiers, des veaux morts nés, des bêtes qui ne grossissent plus, des problèmes de fertilité, des vêlages qui se passent mal… C’était de pire en pire ».
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356 000€ de dettes
En 2015, Yann et son épouse décident d’arrêter les frais d’une exploitation qui croule complètement.
« On m’a tout dit que j’étais dingue, que j’étais fainéant, que c’était de ma faute et pour seule réponse des services de l’État : j’ai eu une enquête vétérinaire qui a d’ailleurs montré qu’il n’y avait pas de maltraitance animale… sans compter la banque qui nous a lâchés » liste le fermier, « on avait fait des investissements qu’il fallait pourtant continuer de payer. Mais avec des bêtes malades, des frais vétérinaires et d’études en hausse, une production qui baisse d’un tiers et une qualité toujours moins bonne… ».
La cessation d’activité est prononcée en novembre 2015. La ferme s’est reconvertie tant bien que mal dans la production céréalière, et Yann a retrouvé du travail dans d’autres exploitations « et ce n’est pas pour tirer un salaire ! » s’étrangle l’agriculteur boisleux, « c’est tout juste pour payer 356 000 euros de dettes d’investissement, et de créances auprès des organismes sociaux et des fournisseurs ».
Une rivière souterraine
Mais Yann n’a rien lâché pour tenter d’élucider les raisons de ce fléau qui a décimé 180 bovins en à peine cinq ans et couler son exploitation… « Dès 2014 un géologue dépêché par Enercon met en évidence la présence de cette rivière, dont je n’avais moi-même pas connaissance » explique Yann Joly, « il a fallu le complément d’information d’un sourcier pour démontrer qu’elle transportait des courants électriques. Et c’est bien là que tout se joue : personne ne veut prendre en compte cet élément, aucune étude scientifique officielle n’est menée sur la question, donc les autorités ne veulent pas en entendre parler ».
Parmi les preuves qu’avance l’agriculteur pour étayer ses suspicions: la baisse de sa consommation d’eau, accentuée lors des périodes de vent… donc de forte activité des éoliennes. « En temps normal, les bêtes ne buvaient déjà pas assez depuis 2011, mais lorsque les éoliennes tournaient alors là… C’était l’hécatombe ».
L’ANAST dénonce des dangers depuis 30ans
Ses recherches le mènent du côté de l’ANAST (Association Nationale des Animaux Sous tension) rassemblant des éleveurs de l’Aveyron, des Vosges, de Bretagne, de Vendée, des Hauts-de-France, de Normandie... tous engagés « pour que ces études préalables soient réalisées désormais avant toute installation pour éviter les risques de perturbations électriques, rayonnements électromagnétiques, tensions parasites ou courants vagabonds » selon le président fondateur Serge Provost.
Cet éleveur sarthois aujourd’hui à la retraite défend « comme tant d’autres, j’ai moi-même été victime au début des années 90, c’est comme ça qu’on a fondé l’ANAST », « les instances officielles, et l’État nous ont bien écoutés au départ et puis on a rapidement été évincés des débats parce qu’on ne disait pas ce que le lobby éolien et celui de la production et de la distribution d’électricité voulaient entendre », « on n’a pas pesé bien lourd face à eux forcément, et puis les temps étaient autres et il n’y avait malheureusement pas encore assez de victimes… mais là, trente ans et beaucoup de drames après, enfin ça commence à reprendre et l’association est relancée depuis avril 2019 ».
Après une période de mise en sommeil, l’association a repris de la vigueur avec un nombre croissant d’éleveurs qui se disent aussi impactés et engagent des procédures judiciaires.
C’est d’ailleurs le cas de Yann Joly à l’encontre d’Enercon, mais aussi de dizaines d’autres exploitations. La semaine dernière, une opération de communication a eu lieu sur le site même de la ferme de Le Boisle, en présence d’éleveurs dénonçant les mêmes faits que ceux que Yann observe, mais aussi l’avocat de l’association maître François Laforgue (Lire encadré).
Ligne de défense…
« On n’est pas des anti-progrès, ce qu’on veut c’est être reconnus en tant que victimes et être indemnisés. Et que jamais ces installations qui provoquent de telles nuisances, ne soient plus autorisées sans études de sols et de sous-sols préalables faites par des expertes et des géologues indépendants et reconnus officiellement » défend le président de l’ANAST, avant de mettre en garde « la bio géologie n’est pas reconnue, alors il y a pas mal de marabouts et des arnaques qu’il faut éradiquer, mais il y a aussi des gens très compétents qui pourraient éviter bien des drames pour autant qu’on les écoutent ».
Une action collective partout en France
Maître François Lafforgue, avocat de l’ANST, confie : « dans le cas de Yann, comme dans d’autres cas similaires, on plaide le trouble anormal de voisinage », « autrement dit un préjudice caractérisé à l’appui de preuves comptables et d’observations chiffrées, sérieuses et tangibles ». En l’occurrence, la corrélation entre les jours de vent, l’action des éoliennes, la réduction de la consommation d’eau qui repart à la hausse dès la fin d’un épisode venteux. Dans cette optique, un éleveur de l’Orne a réussi à prouver à ses frais (70 000 euros) qu’en désenfouissant une ligne haute tension et en déplaçant un transformateur d’une centaine de mètres de ses étables de traite, ses bêtes ont cessé de souffrir, d’avoir un comportement d’évitement et nerveux, et sa production a retrouvé son cours normal.
« Dans tous les cas il y a un avant, un pendant et un après »
Des arguments observés ailleurs, et étayés de constats d’huissier, de factures et de relevés de consommation, de rapports vétérinaires… « On ne tend pas à démontrer une faute de qui que ce soit, mais plutôt admettre un indéniable état de faits de ce qu’il y a un avant, un pendant et un après exposition à telle ou telle installation, et ce toujours sur la base d’un faisceau d’indices établis » martèle Maître Lafforgue. Le tribunal de la Rochelle a récemment débouté Enedis dans sa demande de rejet de la plainte d’un agriculteur, ce qui crée une jurisprudence entre-ouvrant la porte à des recours qui jusqu’à présent n’aboutissaient pas.
Le recours contre l’État pour manquement au principe de précaution inscrit dans la Constitution « est une démonstration complexe et qui revient à démontrer une faute. Ça sera long, fastidieux et très incertain… Pour le moment ce n’est pas la voie que nous avons privilégiée ». Idem pour une action groupée dont les critères d’actions en France ne correspondent pas à la démarche des éleveurs, « en revanche, les démarches collectives c’est-à-dire la multiplication des procédures sur les mêmes fondements. Là, oui ! » indique l’avocat, « on veut une reconnaissance symbolique, pour ensuite des réparations de préjudices et des dommages et intérêts ». En quelques mois, 110 cas ont été déposés auprès de l’ANAST, 15 sont en cours d’examen auprès du cabinet de Maître Lafforgue et une dizaine est déjà en cours d’instruction auprès d’une cour de justice.
Pas un élus sur 65 invités
L’EARL « Au gré des roses » de Yann Joly rejoint le mouvement et entame une action en justice. Une démarche qui rejoint l’action collective déjà impulsée par déjà une dizaine d’exploitants en France (Lire encadré). La journée de communication de la semaine dernière avait invité 65 politiques de tout bord de Marine le Pen, leader du parti d’extrême droite, députée du Pas-de-Calais voisin et conseillère régionale d’opposition des Hauts-de-France, à Laurent Somon, ancien président du département désormais sénateur et vétérinaire de formation, en passant par les députés Emmanuel Macquet ou François Ruffin… pas un n’a fait le déplacement.
Des « éoliens » sans voix
Nous avons contacté sur le sujet Enercon, promoteur de la ferme éolienne dite « Saint-Riquier », qui botte en touche : « cette ferme éolienne a bien été conçue par nos soins, selon les normes en vigueur. Nous l’avons cédé à ERG qui l’exploite depuis plusieurs années, et nous n’avons plus aucune de responsabilité sur ce site » confie Elsa Couturier, du service communication d’Enercon.
Le même ERG confie « pour des raisons qui nous sont propres, nous avons décidé de ne pas prendre part à ce débat ».
Bonjour,
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À votre santé
magnus wennlof