03/05/2019 | par Cécile Julien | Terre-net Média
Pour Murielle et Didier Potiron, éleveurs à Nozay (44), l’installation de huit éoliennes à proximité de leur ferme a tourné à la catastrophe. La santé des animaux se dégrade, comme celle des éleveurs. Les experts reconnaissent ces problèmes sans pour autant en comprendre l’origine
Depuis six ans, Didier et Murielle Potiron se battent pour faire reconnaître les préjudices causés à leur élevage par un champ d’éoliennes. (©Cécile Julien)
« J’espère que d’ici cet été on y verra plus clair, qu’on aura enfin des réponses sur les problèmes que nous rencontrons ». Depuis six ans, Murielle et Didier Potiron, éleveurs à Puceul (44), ont vu s’accumuler les problèmes de santé. D’abord pour leur troupeau, 90 Normandes et des Charolaises, avec une augmentation du taux de cellules dans le lait, des problèmes aux vêlages, de nombreux veaux mort-nés, des vaches aux pattes inflammées.
Le tout a d’importantes conséquences financières. « Nous avons des pénalités sur la qualité du lait, une perte de 50 000 litres de production annuelle, chiffre Murielle Potiron. On perd 50 bêtes par an alors que, au regard de la taille de notre cheptel, ça devrait être 10 à 15 ». Leur propre santé s’est même détériorée : les problèmes d’épilepsie de Murielle se sont aggravés, les exploitants ressentent fatigue et maux de tête inexpliqués.
Les problèmes ont commencé peu de temps après la mise en service d’un champ d’éoliennes.« Des problèmes, dans un élevage, il y en a toujours. Mais face à leur augmentation, en 2014, nous avons demandé à notre vétérinaire de tout vérifier », retrace Murielle Potiron. Recherches de maladies, analyses de fourrages, tests sur l’eau, aucune anomalie n’est trouvée. « Un autre vétérinaire est venu voir nos animaux, il a évoqué un lien possible avec des courants électriques. Et là, ça a fait tilt », explique l’agricultrice. Les éleveurs se souviennent que les problèmes ont commencé peu de temps après la mise en service d’un champ d’éoliennes, dont la plus proche est à 600 mètres de la stabulation.À lire également >> Courants parasites : une prise de terre pour limiter le stress des vaches !
Moins de 600 mètres séparent la stabulation de la première éolienne. De la cour de la ferme, on entend le souffle des pâles. (©Cécile Julien)
Une collègue confrontée aux mêmes problèmes, ainsi que d’autres riverains du parc éolien, confirment leurs craintes. « Pourtant ces éoliennes, nous n’étions pas contre, reconnait Murielle Potiron. Nous trouvions ça bien de développer une énergie verte. » D’ailleurs, les exploitants ont donné leur accord pour que l’une des huit éoliennes soit installée dans un de leurs champs. Sauf que depuis leur mise en service en juin 2013, la santé et les performances du troupeau se dégradent.
Pourtant ces éoliennes, nous n’étions pas contre. Nous trouvions ça bien de développer une énergie verte.
Pour faire reconnaître leurs préjudices, les éleveurs déposent, en septembre 2014, une plainte en préfecture contre le site éolien. « Suite à cette plainte, des expertises avec le Groupement permanent pour la sécurité électrique (GPSE) ont été conduites. Mais, il a fallu trois ans et que nous prouvions qu’il n’y avait pas de maladies, pas de mauvaises pratiques de notre part pour que l’administration nous prenne au sérieux. » Depuis, le ministère de l’environnement a débloqué une enveloppe de 30 000 € pour les investigations et un arrêté préfectoral a acté un protocole de recherche qui est toujours en cours. « Toutes nos investigations ont montré qu’il y avait bien concomitance entre la mise en service du parc et des troubles indiscutables, confirme Claude Allo, président du GPSE(1). Mais pour l’instant, rien de ce qui est possible de mesurer n’a donné d’explication sur la raison de ces perturbations ».
Courants parasites, failles d’eau, champs électromagnétiques : Toujours pas d’explications
Comme le point de départ des problèmes de santé était trouvé, on aurait pu penser qu’il serait facile d’en trouver la cause, et donc une parade. « Cela fait quasiment six ans que les experts se succèdent, que la ferme est analysée sous toutes les coutures, que l’on doit prouver que nous faisons bien notre travail », avoue fatiguée Murielle Potiron. La dernière étude en cours est celle d’Oniris, l’école vétérinaire de Nantes, pour analyser le comportement des vaches. « Nous, on voit bien qu’il y a des endroits qu’elles ne fréquentent pas, notamment celui du robot de traite, souligne Didier Potiron. Il y a des intervalles de traite de 17 ou 18 h, comme si les vaches attendaient vraiment de ne plus en pouvoir pour y aller. Alors qu’on passe les pousser régulièrement, le nombre de traites moyennes n’est que de 1,7. Dans les autres élevages, c’est toujours plus de 2. »
Lorsqu’il y a eu une coupure des éoliennes, les résultats au robot se sont améliorés : + 2,7 % de production, + 160 % de passages, – 43 % de décrochages intempestifsDes géobiologues ont confirmé la présence de circulation d’eau sous le bâtiment. « Il y a un croisement de deux failles d’eau sous le robot », précise l’éleveur. Cette circulation d’eau se fait dans un sous-sol riche en étain et en fer. Abbaretz, la commune voisine de Puceul, a vécu d’une mine d’étain jusque dans les années 50. La production électrique des huit éoliennes est transférée par un câble enterré de 20 000 volts. Est-ce que, dans un tel environnement, les éoliennes génèrent des courants parasites, des champs électromagnétiques, des systèmes infra-sons ? La seule façon de prouver cet impact serait d’arrêter les éoliennes. C’est arrivé une fois. « En février 2017, il y a eu une coupure accidentelle pendant quatre jours, retrace Didier Potiron. On ne le savait pas mais on s’en est douté quand on a vu les résultats du robot : + 2,7 % de production, + 160 % de passages, – 43 % de décrochages intempestifs. On a fait passer un huissier pour constater l’impact de cette mise hors tension. »
Appliquer un principe de précaution et en tirer les enseignements
Face à l’accumulation des problèmes, les exploitants demandent soit l’arrêt du champ d’éoliennes, soit la délocalisation pour les deux exploitations concernées, ainsi que les particuliers. « Nous serions prêts à partir pour mieux vivre, reconnait Murielle Potiron. Les rares fois où l’on part en vacances, nos problèmes de santé s’arrangent. Mais comment faire, on ne peut pas vendre à un autre éleveur avec tous ces problèmes. Sans vente, il n’y a pas de réinstallation possible ». Or, à ce jour, il n’existe pas de mesures législatives d’accompagnement, pas de possibilité de faire valoir un principe de précaution.
Nous serions prêts à partir mais on ne peut pas vendre, il n’y a pas de réinstallation possibleAu-delà leur problème personnel, Murielle et Didier Potiron veulent aussi que ce qui leur arrive permette de tirer des enseignements pour tous les éleveurs concernés par un projet de parc éolien, de centrale photovoltaïque. « Faites réaliser par des personnes compétentes et neutres, un point zéro de la situation de votre élevage, avec un état des lieux électrique, zootechnique et sanitaire pour avoir des preuves de la situation d’avant et objectiver d’éventuelles dégradations », conseille Claude Allo.
Le GPSE ne se prononce pas sur une distance de sécurité entre les installations électriques et les élevages car « trop de paramètres entrent en compte, comme la nature du sous-sol. » Le GPSE souhaite aussi que les difficultés rencontrées par Murielle et Didier Potiron permettent de faire progresser les précautions autour des nuisances électriques. « Des cas existent mais nous n’arrivons pas toujours à les expliquer, donc à apporter de solutions, reconnait Claude Allo. Par exemple, pour les courants parasites on connait les seuils de perception, de dangerosité, on sait les traiter. Pourtant dans les exploitations où l’on suspecte qu’ils sont à l’origine de troubles, dans 2 cas sur 10 on n’en comprend pas l’origine. » Le président du GPSE reconnait un important besoin de recherche fondamentale sur ces sujets des perturbations électriques, pour les comprendre, objectiver les troubles causés, apporter des parades. Il faudrait également prévoir un accompagnement, technique et financier, pour les éleveurs confrontés à ces problèmes.
(1) : Le Groupement permanent pour
la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) est une association
fondée par les ministères de l’agriculture, de l’environnement et de
l’énergie, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, Réseau
transport d’électricité et Électricité réseau distribution France et
rejoint par France énergie éolienne (FEE), le Syndicat des énergies
renouvelables (SER) et la Confédération nationale de l’élevage (CNE). Le
GPSE apporte une expertise indépendante.
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